Les 6 métiers de BRUGEL

3. Affaires socioéconomiques

Interview de Carine Stassen


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Parallèlement aux outils mis en place par l’État fédéral pour renforcer la protection des ménages (tarif social spécifique et Fonds énergie), le législateur bruxellois veille également à la protection des consommateurs résidentiels domiciliés en Région de Bruxelles-Capitale. Pour permettre à tous les Bruxellois d’accéder au marché de l’énergie, le service des Affaires socioéconomiques de BRUGEL conseille le Gouvernement et garantit le bon fonctionnement des différents leviers régionaux mis en œuvre.

Quels garde-fous législatifs ont assuré la protection des consommateurs bruxellois en 2019 ?

Carine Stassen : En 2019, la protection du consommateur s’est encore appuyée sur les quatre piliers que sont l’obligation de faire offre pour les fournisseurs, des contrats de trois ans, l’octroi du statut de client protégé régional sur base volontaire et la décision d’un juge de paix pour résilier un contrat en cours. Les ménages qui se sont retrouvés en fin de contrat durant la période hivernale ont en outre pu conserver leur alimentation et basculer automatiquement chez SIBELGA au tarif social.

Quel regard portez-vous sur la teneur de cette protection ?

Carine Stassen : À la suite d’une analyse systémique réalisée en 2019 portant sur le cadre régulatoire et son impact sur le marché de l’énergie en RBC, nous avons constaté que les mesures de protection régionale entravaient la dynamique concurrentielle du marché. Cet effet a ensuite des retombées négatives sur l’ensemble des ménages et ironie du sort plus particulièrement sur les clients les plus vulnérables.

Pour faire simple, les obligations de service public imposées aux fournisseurs obligent ces derniers - et ce afin de limiter le risque lié à toute activité commerciale – à analyser les futurs nouveaux clients, à limiter leurs offres avantageuses en RBC, à adopter des procédures de recouvrement plus strictes et plus rapides et in fine à ne pas renouveler les contrats des clients « difficiles ». Toutes ces mesures se répercutent malheureusement sur le client vulnérable. Celui-ci a en effet difficile à obtenir un contrat de fourniture avantageux. Il a alors des difficultés de paiement et peut se retrouver rapidement dans une procédure de recouvrement qui est souvent très onéreuse. Celle-ci se terminant généralement par la justice de paix et un avis de coupure du point de livraison couplé à une dette importante qui augmente la précarité. Ces tensions sont donc un frein réel au développement du marché bruxellois qui est l’objet, année après année, d’un désengagement des fournisseurs.

Tous les indicateurs démontrent donc clairement la détérioration d’une part, du marché de l’énergie et d’autre part de la situation des clients les plus précarisés. BRUGEL souhaite désormais avoir un discours plus affirmé sur la question.

Comment expliquez-vous cette situation ?

Carine Stassen : Le marché bruxellois de l’énergie est très peu dynamique. Le fournisseur historique possède encore 65% des parts de marché, le reste se répartissant entre quatre fournisseurs dont deux possédant moins de 5 % du marché. Parmi ces fournisseurs, trois acceptent encore les clients sans clauses additionnelles et proposent des offres sans conditions.

Beaucoup de ménages qui se retrouvent en fin de contrat, tributaires d’une dette énergétique ou en proie à une coupure de compteur à la suite d’une décision de justice de paix ne parviennent pas à retrouver un autre fournisseur. Au-delà des ménages en situation de précarité, cette situation a des conséquences sur la totalité des ménages bruxellois.

En quoi cette situation pénalise l’ensemble des consommateurs bruxellois ?

Carine Stassen : Les fournisseurs qui se méfient du marché hésitent à proposer des offres alléchantes. Ce qui signifie qu’au niveau des offres globales du marché, les Bruxellois n’ont pas accès à celles qui sont les plus intéressantes ou les plus en adéquation avec leur profil de consommateur. Cet aspect du marché freine la dynamique à laquelle est normalement soumis un marché concurrentiel.

Suivant nos calculs, les bruxellois ont des tarifs de l’ordre de 20 % supérieurs à ceux proposés en région flamande. Nous avons constaté, cette année, une nette accélération du décrochage des prix en RBC par rapport au reste du pays.

Par ailleurs, il est également important de mentionner que concernant les marchés à niche (fournisseur 100% vert, offres pour véhicule électrique, …), les offres proposées en RBC sont fortement réduites par rapport à celles proposées dans les deux autres régions.

BRUGEL ne souhaite pas que le consommateur bruxellois soit un « sous-consommateur » qui ne dispose pas des mêmes opportunités et des mêmes avantages que les ménages flamands ou wallons.

Dès lors, nous sommes convaincus qu’à Bruxelles la question de l’énergie est trop souvent abordée sous l’angle retreint des clients précarisés. Il serait peut-être plus judicieux de se fonder sur une logique sociétale et du plus grand nombre, tout en envisageant un cadre particulier pour assurer la protection des personnes vulnérables. Concrètement, nous préconisons de nous focaliser sur le client résidentiel lambda afin qu’il puisse profiter d’un marché dynamique et des offres ciblées qui le concernent.

En parallèle, il nous faut une protection proactive, ciblée et accompagnée. Comme cela se fait en Flandre et en Wallonie. Pour illustrer ce propos, nous sommes favorables à l’entonnoir, soit une protection ciblée et renforcée sur les ménages les plus précarisés et à contrario une responsabilisation accrue pour les autres.

Dans le panel des quatre outils de protection proposés aux consommateurs bruxellois, vous mentionnez le recours au statut de client protégé. Comment la situation a-t-elle évoluée en 2019 ?

Carine Stassen : En 2018, le statut de client protégé a été quelque peu réformé. Contre l’avis de BRUGEL notamment, le Gouvernement bruxellois a imaginé qu’il suffisait de supprimer le limiteur de puissance pour augmenter le nombre de clients protégés. En 2019, nous avons constaté que suite à ces mesures, le nombre de clients protégés n’a augmenté que de 10%. Parallèlement, nous avons constaté qu’il y avait toujours autant, voire plus, de coupures de compteurs électriques. Dans cet esprit, le montant des créances ouvertes chez les fournisseurs n’a pas non plus baissé. Conclusion : cette réforme ne s’est pas révélée payante !

Comment expliquez-vous ce flop ?

Carine Stassen : Comme nous l’avions précisé, ce n’est pas le statut de client protégé comme il est proposé actuellement qui booste la protection régionale. Nous sommes en effet convaincus que les procédures administratives pour bénéficier de cette protection sont trop lourdes et le système trop compliqué à gérer et ne touche pas sa cible. Il est urgent d’élaborer un nouvel axe de protection qui serait non pas uniquement curative mais proactive. De même, la protection seule ne suffit pas. Un accompagnement social est indispensable à sa bonne exécution.

Et que pensez-vous du limiteur de puissance ?

Carine Stassen : Ill fallait supprimer le limiteur de puissance qui, in fine, n’a pas d’effet sur la précarité énergétique. Mais nous sommes surtout favorables à l’utilisation de ce budget dégagé pour un suivi ou une guidance sociale des clients précarisés. Comme le limiteur de puissance est le principal poste du budget des obligations du service public du GRD, ces montants pourraient être consacrés à d’autres actions plus utiles et donner un nouveau rôle au GRD, en tant que « facilitateur du marché » qui pourrait être vu comme un lien entre le fournisseur d’énergie et le client dans l’intérêt de ce dernier. Il est important de (re)placer le client au centre des procédures.

Assimilez-vous cette situation à une fatalité ?

Carine Stassen : Bien sûr que non ! Il n’empêche qu’à Bruxelles, la logique sociale se confronte à la logique du marché. Il est impossible, dans une logique du marché, d’avoir un tel risque indéfini. Surtout dans le secteur de l’énergie qui fonctionne plutôt à risque limité. La protection du juge de paix - avec les délais qui en découlent - est contraire à la logique du marché concurrentiel puisque les fournisseurs ne disposent pas d’une vision claire des situations et ne peuvent dès lors anticiper leur risque. Nous serions même tentés de dire qu’à Bruxelles, les conditions du marché de l’énergie sont en opposition avec la libéralisation de celui-ci.

Que préconisez-vous ?

Carine Stassen : BRUGEL préconise que le système de protection puisse évoluer et devenir plus dynamique en se concentrant sur les clients en difficulté que ce soit de manière temporaire ou structurelle. Forts de ce constat, nous souhaitons la mise en place d’une automatisation de la protection pour tous les bénéficiaires du tarif social. Ainsi, les plus vulnérables ne se retrouveraient jamais en situation de précarité énergétique. Cette population fragilisée devrait pouvoir être alimentée directement par le gestionnaire du réseau SIBELGA. Il serait également nécessaire de mettre en place une guidance sociale proactive et réformer le système de justice de paix qui n’est plus véritablement un outil de protection du citoyen.

Pourquoi remettez-vous en cause le recours à la justice de paix ?

Carine Stassen : Parce que les chiffres indiquent que 90% des justiciables ne se présentent pas aux audiences en cas de litige énergétique. Et lorsqu’ils sont absents, leur compteur est automatiquement coupé. En préconisant la conciliation préalable, nous pensons que nous pourrions parvenir à une meilleure protection des personnes vulnérables. Beaucoup de personnes en butte avec la justice et les fournisseurs ne comprennent pas ce qui leur arrive, car elles ne connaissent pas les règles administratives et ne maîtrisent pas bien les langues. Fin 2019, nous avons remis un avis en ce sens et rédigé des mesures à proposer au Gouvernement. Comme la Région de Bruxelles-Capitale est la Région où l’on constate le plus de coupures de compteurs, nous espérons que nous serons suivis.

Quelles conclusions tirez-vous de l’état du marché en 2019 ?

Carine Stassen : En 2019, Direct Energy a fusionné avec Lampiris, ce qui fait que le marché bruxellois dispose encore d’un fournisseur en moins. Avec un marché qui se réduit comme peau de chagrin, le risque est de disposer de trop peu de fournisseurs pour prétendre à un marché libéralisé.

En 2019, nous avons également constaté que le nombre de fermetures pour cause de fin de contrat a été, pour la première fois, supérieure à celle des fermetures liées aux décisions de justice de paix. Cette situation préoccupante signifie que le cadre légal qui était assuré par l’intervention du juge de paix a été progressivement contourné. En d’autres mots, c’est le marché et non plus la justice qui décide. Cette situation illustre à nouveau les disfonctionnements du système régulatoire bruxellois.

Quid d’une bonne protection ?

BRUGEL est convaincue qu’une bonne protection n’est pas une protection qui permet aux clients de s’alimenter le plus longtemps possible sans payer de factures. Et c’est malheureusement ce qu’encourage le système de protection actuel. Une bonne protection est plutôt une protection qui cible correctement les bénéficiaires et qui propose des solutions structurelles doublées d’un accompagnement social pour permettre aux populations les plus fragilisées de s’en sortir sur le long terme.

Pourquoi montez-vous soudainement aux créneaux ?

Carine Stassen : Si BRUGEL propose autant d’alternatives au cadre actuel c’est que la situation s’avère totalement dysfonctionnelle. Sans cela, nous n’aurions pas demandé de telles modifications en profondeur. Notre ambition est d’inventer un nouveau système via l’automatisation de la protection et du client protégé proactif, alimenté par le gestionnaire du réseau et suivi en guidance sociale par le CPAS. Certes, c’est une révolution ! Mais seules de telles mesures peuvent donner au GRD un véritable rôle social. BRUGEL est donc d’avis d’étendre la mission du GRD en lui attribuant la fonction de fournisseur social.

Quel gros chantier avez-vous mené en 2019 pour améliorer la situation ?

Carine Stassen : En collaboration avec le service communication de BRUGEL, le service social s’est attaché à revoir et clarifier le document national de reprise des énergies. Ce document, qui reprend les données techniques concernant les compteurs d’électricité et de gaz, est à remplir lors d’un déménagement. Et comme 67% des logements bruxellois sont des locations, ces changements de compteurs sont plus courants ici qu’ailleurs.

Ce document permet en fait d’assurer sans heurt la transition entre l’ancien et le nouvel arrivant dans un logement. Lorsque ce document est correctement complété, beaucoup de tracasseries sont évitées : la facture de clôture est conforme et le contrat du nouvel entrant devient plus clair.

Lorsqu’il est mal complété, ce document donne bien souvent lieu à de mauvaises interprétations, et, in fine, à des complications administratives. Et quand on sait que plus de 13 000 coupures de compteurs sont consécutives à des déménagements mal préparés, nous avons réagi et décidé de proposer deux documents distincts et abordables pour le commun des consommateurs. Le premier destiné aux clients conventionnels et le second aux clients qui possèdent des panneaux photovoltaïques. Lorsqu’ils ont été finalisés, ces nouveaux documents ont fait l’objet d’une campagne de communication ambitieuse qui a porté ses fruits.

En 2019, le Fonds fédéral gaz et électricité a vu son financement diminuer. Comment BRUGEL a-t-elle réagit ?

Carine Stassen : En 2019, nous avons tenu à participer à une étude sur ce Fonds fédéral gaz et électricité qui alimentent les CPAS. Comme les montants alloués à ces fonds sont en diminution constante, nous avions constaté que certains CPAS de la Région ne disposaient plus des moyens nécessaires pour acquitter les factures des ménages précarisés. La Fondation Roi Baudouin et les parties prenantes des différentes Régions ont réalisé et communiqué cette étude au Gouvernement afin que ce fonds puisse être refinancé. À Bruxelles, la situation était d’autant plus tendue que c’est en grande partie ce fonds qui finance la précarité énergétique. L’étude a été très bien acceptée au niveau du Gouvernement qui a promis une indexation à court terme.

Nouveau rôle de facilitateur pour SIBELGA

Depuis la modification de l’ordonnance bruxelloise en 2018, SIBELGA a alimenté beaucoup plus de ménages que les années précédentes. Du fait de sa proactivité, le GRD a eu un véritable rôle social de facilitateur en contactant directement par téléphone les ménages en difficulté. Les clients qui devaient reprendre un nouveau contrat chez un opérateur ont été directement contactés durant la période où ils étaient encore alimentés en énergie. Les conseillers de SIBELGA ont ainsi pu expliquer les procédures à suivre et mettre l’accent sur les risques de coupure qu’ils encouraient s’ils n’effectuaient pas ces démarches. Les contacts téléphoniques, couplés à un déplacement d’un technicien sur site, ont été une réussite. BRUGEL et d’avis de renforcer ce rôle de facilitateur que prend en charge le GRD et ce par exemple dans le cadre des démarches à effectuer lors des déménagements.



Carine Stassen

responsable du service Affaires socioéconomiques au sein de BRUGEL.





Revoir le système de protection dans
son ensemble !